samedi 29 avril 2017

Médée-Matériau au TNS: ceci n'est pas du cinéma, c'est une vraie expérience théâtrale

Face à Médée-Matériau, nous nous trouvons confrontés à des questions de traduction, d'interprétation.
Il y a bien sûr le mythe, à l'origine, et ses différentes versions, déjà à l'antiquité, puis les lectures successives par les écrivains, chorégraphes, peintres, cinéastes, musiciens. Et puis il y a cette version, Medeamaterial, un texte de Heiner Müller de 1985 qui, lui aussi a été interprété de nombreuses façons - voir l'Opéra créé par Pascal Dusapin en 1992. Et cette mise en scène d'Anatoli Vassiliev dont la première création - et interprétation par Valérie Dréville - date de 2002 lors de l'Olympiade théâtrale de Moscou et qui a tourné pendant cinq ans (jusqu'à Delphes en 2006). 
Et cette nouvelle version, créé au TNS à Strasbourg le 29 avril 2017, avec la même Valérie Dréville. 
Et il y a le texte, matériau de la pièce, matériau de travail qui est dans ses trois versions: allemande (celui de Heiner Müller), russe (traduction pour Anatoli Vassiliev) et française (traduction de Heiner Müller).
Ce texte, matériau de base de la pièce, le spectateur le reçoit comme un guide-programme qu'il va pouvoir lire au début du spectacle sur un écran de cinéma situé sur scène.
Car le texte, même s'il est court, c'est de cela que nous partons, c'est ce qui et écrit et qui raconte l'histoire. Et quelle histoire ! 


Médée-Materiau - TNS -  Valérie Dréville - Photo: Jean-LouisFernandez

La voici résumée par Valérie Dréville: "Médée a suivi Jason et trahi son peuple pour le sauver. Elle a tué son frère. Cet amour a tenu lieu de patrie jusqu'à la trahison de Jason. Elle est maintenant chassée par lui et par le roi, envoyée en exil. C'est un destin lourd. Comment le surmonter, s'en libérer?
Ce sera tout le travail de la pièce, cette traversée intérieure et symbolique pour faire ce chemin et qui va passer par une sorte de cérémonie chamanique ou rituelle d'exorcisme "d'action émancipatrice" sur elle-même" qu'elle va effectuer. Et que nous allons faire avec elle, comme un voyage. Mais ce n'est pas une croisière. 
Ce voyage auquel elle nous convie, va nous emmener au-delà des mers, seuls, accompagnés quelquefois de quelques mouettes ou de dauphins comme guides, compagnons de voyage, vers le lieu où le soleil se couche et où elle nous enjoindra de la laisser seule, reconstruite et forte. 
Elle y arrive après avoir rituellement "brûlé" la fiancée de Jason, Creüse, son double et offerts, "sacrifiés" ses enfants à leur père, le soleil pour l'immortalité.
Cependant nous n'assistons à un film de voyage en double projection panoramique, parce qu'il y a l'histoire et il y a le texte de Heiner Müller (dont Valérie Dréville dit qu'il est "rempli d'images, de métaphores, d'oppositions. C'est un moteur puissant pour l'acteur"), et effectivement il y a ... l'acteur. 
Donc l'actrice et son travail avec le metteur en scène Anatoli Vassiliev, qui est plus qu'un metteur en scène. C'est un penseur du théâtre qui, dans la suite de l'école de Stanislavski a créé son laboratoire de théâtre expérimenttal - le théâtre École d’art dramatique de Moscou - et dont le travail est basé à la fois sur le geste et sur le matériau son.
Dans Médée-Matériau, le son devient matériau, énergie et traverse le corps et l'espace, la scène, la salle, les spectateurs... 
Sur scène, la comédienne va restituer à la parole ses capacités de révélation. Comme le dit encore Valérie Dréville "S'il faut transmettre quelque chose qui n'est pas matériel, c'est un objet matériel (le son) qui va devenir le conducteur de quelque chose qui n'est pas matériel. .... Il n'est alors plus perçu acoustiquement mais énergétiquement.". 
D'autre part il y a les gestes, les actions du corps, des gestes quelquefois très simples -  mettre de la crème, des compresses sur le visage, le corps,... - qui eux aussi sont profondément inscrits dans la mémoire du corps et que l'acteur va réactiver à chaque représentation pour nous les restituer dans leur dimension cérémoniale, rituelle et guerrière, archaïque. Avec pour objectif, comme le disait Anatoli Vassiliev: "Le but était situé dans l'abstrait: je n'observais plus l'homme pensant les vérités, mais les vérités elles-mêmes... Les acteurs ne se trouvaient plus en lutte mais en jeu.


Médée-Materiau - TNS -  Anatoli Vassiliev - Photo: Jean-LouisFernandez

Un vrai théâtre expérientiel. Qu'il faut avoir vécu... A vous de l'expérimenter.

Bon Spectacle

La Fleur du Dimanche

Médée-Matériau  (MedeaMaterial)

Au TNS à Strasbourg 
du 29 avril au 14 mai 2017

Texte Heiner Müller
Mise en scène Anatoli Vassiliev
Avec Valérie Dréville

Traduction Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger
Scénographie et lumière Anatoli Vassiliev et Vladimir Kovaltchouk
Vidéo Alexandre Chapochnikov
Costumes, maquillage et accessoires Vadim Andreïev
Composition sonore Andreï Zatchessov
Travail corporel Ilya Kozin
Production Théâtre National de Strasbourg
Nouvelle création le 29 avril 2017 au Théâtre National de Strasbourg
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS
Le texte est publié aux Éditions de Minuit

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